mardi 13 janvier 2015

Stéréotypies: réactionnelles ou pathologiques?

Stéréotypies: réactionnelles ou pathologiques?

...comportementales ou organiques??


Le terme de stéréotypie ne nous est pas toujours très familier. Pourtant il renvoie à une image que nous avons tous en tête de fauves qui tournent en rond sans s’arrêter au fond d’un enclos. Les stéréotypies sont un indicateur majeur de la qualité de vie des animaux sauvages en parc zoologique et à ce titre sont très étudiées dans ce contexte. Pourtant ces comportements répétitifs, signe de mal-être, peuvent également être observés dans des situations bien plus quotidiennes, et chez des espèces domestiques : dans des centres équestres, des élevages, et même chez nos carnivores domestiques. On parle plus volontiers de troubles compulsifs pour nos animaux de compagnie, mais ce chien qui tourne derrière se queue est-il toujours comparable à un fauve en cage ?




Les stéréotypies sont classiquement définies des « comportements répétitifs, invariants et qui n’ont aucun but ou fonction apparents » (Mason, 1991). Elles ont été initialement décrites chez les animaux sauvages maintenus en captivités car ces comportements « aberrants » n’existent pas dans la nature.





Il existe plusieurs types de stéréotypies, selon les espèces concernées. Ainsi les éléphants en milieu entravé ne déambulent pas comme le font les fauves, mais se balance d’une patte à l’autre des heures durant. Les perroquets produisent plus souvent des stéréotypies inspirées de leurs comportements de toilettage, mais effectué pendant parfois 10 heures par jour, ces soins finissent par les laisser déplumés sur tout le ventre.



Les stéréotypies sont considérées comme des indicateurs de mal-être car elles se déclenchent classiquement dans des situations de stress, de frustrations ou dans les environnements où les animaux ne peuvent exprimer les comportements propres de leur espèce : chasser, se baigner, rechercher de la nourriture ou un partenaire… De nombreuses structures accueillant des animaux sauvages tiennent compte de la survenue de ces comportements répétitifs pour enrichir l’environnement de leurs pensionnaires.


Pourtant les comportements stéréotypés, révélateurs de mal-être et de frustration ne sont pas l’apanage des parcs zoologiques et peuvent concerner nos animaux domestiqués. Par exemple dans certains centres équestres, les comportements stéréotypés sont parfois si fréquents qu’on les considère à tort comme faisant partie des comportements normaux des chevaux en box. Ces tics sont si fréquents qu’ils sont décrits nominativement.

Le « tic de l’encensement » où le cheval balance sa tête de haut en bas pendant des heures.
Le « tic à l’ours » où le cheval bascule sur ses appuis antérieurs de droite à gauche.
Certains chevaux grignotent la porte de leur box ou leur mangeoire, d’autre déglutissent et régurgitent de l’air pendant des heures (« tic à l’air »).

 De nombreuses « astuces » existent pour réduire ces comportements : mettre un miroir dans le box, entraver le cheval afin qu’il ne puisse pas produire le mouvement stéréotypé…mais ce sont des mesures qui oublient la condition de stress à l’origine de ces manifestations. Empêcher un cheval de "tiquer" en l’entravant est un non-sens. Les aménagements des conditions de d’hébergement, de travail, de nourrissage et l’enrichissement des activités sociales (interactions entre chevaux) sont les seules mesures permettant de solutionner les stéréotypies à long terme.


Chez les animaux de compagnie, ces mouvements répétitifs se rencontrent également. On parle alors de Troubles Obsessionnels Compulsifs ou TOC (Obsessive-compulsive disorder).


Chez le chien, on peut citer les chiens qui tournent en rond, qui chassent leur queue, les chiens qui sucent leurs flancs, qui gobent des mouches imaginaires.
En dehors de tout problèmes dermatologiques, certains chiens passent des heures à se lécher les pattes, à se mordiller, allant jusqu’à se blesser ou se mutiler.
Les troubles compulsifs peuvent concerner des activités d’ingestion : on parle de PICA au cours duquel le chien mâche ou avale systématiquement des objets inappropriés : tissus, sous-vêtements, chaussettes.

 Chez le chat le toilettage excessif, aboutissant à une dépilation et / ou à des automutilations, et les attaques d’objets inappropriés sont les plus fréquents. Un éventail de comportements très large !


 Mais on ne parle de TOC que lorsque ces comportements surviennent :

1) hors d’un contexte normal (chasser les mouches…sans mouches), ou 
2) à une fréquence et une durée inadaptée par rapport au but de l’action engagée ou 
3) qui empêchent l’animal d’interagir normalement avec son environnement.





Il existe des spécificités de race très marquées chez le chien. On parle par exemple du Berger Allemand qui chasse sa queue, du tournis du Bull Terrier, des Doberman suceurs de flancs, des Cavaliers King Charles gobeurs de mouches.

Il faut d’abord considérer le fait que certains groupes de races canines ont été sélectionnés pour des fonctions précises et de fait ont des aptitudes comportementales spécifiques. Ainsi des chiens d’arrêts comme les Braques peuvent présenter, dans des environnements trop peu stimulants, des TOC au cours desquels ils se figent « à l’arrêt » pendant des heures devant un ombre, un reflet etc… . Il exprime de manière inappropriée un comportement qui lui est naturel.

Néanmoins de nombreuses conditions médicales sont à exclure avant de pouvoir évoquer un TOC. 

Les dermatoses entraînant des démangeaisons (parasites, allergies, …) doivent être systématiquement explorées devant un chat qui s’arrache les poils de manières « compulsive ».
 Près de 2 chiens sur 3 soufrant de PICA présentent des anomalies digestives (gastrites, reflux œsophagien, insuffisance hépatique…). 
Des hypothèses métaboliques (diabète, insuffisance hépatique ou rénales…) sont à explorer en priorité face à un animal qui consomme 5 à 10 fois sa ration d’eau journalière avant de pouvoir évoquer une potomanie.


 Enfin de nombreux TOC sont à relier à des affections neurologiques. Les lignées de Bull Terriers tourneurs ont une prédisposition aux crises épileptiques partielles qui participent au déclenchement de ces comportements compulsifs. On suspecte la même étiologie chez les Doberman qui se sucent les flancs. Enfin, les Cavaliers King Charles qui gobent les mouchent ou se grattent le cou de manière obsessionnelle peuvent souffrir de syringomyélie : une maladie qui comprime les structures neurologiques de la base du crâne.


Dans tous ces cas, en parallèle d’une démarche médicale rigoureuse, il faut considérer la race des animaux concernés, leur cadre de vie, le budget-temps et les dépenses physiques, mentales et sociales que nous leur offrons.



Dr BOUVRESSE, Vétérinaire Comportementaliste DENVF
En partenariat avec le magasine 30 Millions d'AMIS