vendredi 4 décembre 2015

Que reste-t-il de Canis lupus dans Canis familiaris ?


Que reste-t-il de Canis lupus dans Canis familiaris ? 

Remarques sur un débat sans fin


Résumé de l’intervention d’ Adam Miklosi au congrès de la SEEVAD 2015


Le chien et le loup sont-ils deux espèces différentes ?
 Il existe d’ailleurs deux manière de nommer le chien de compagnie : Canis familiaris et Canis lupus familiaris. La même année le journal « animal cognition »  a fait référence aux chiens selon ces deux appellations. La terminologie Canis lupus familiaris était déjà d’employés il y a 20 ans par les zoologistes. Le choix de la dénomination peut évidemment évoluer en fonction des connaissances acquises.

Qu’est-ce qu’une espèce animale ? 
Pour le grand public une espèce représente un groupe d’individus qui peuvent se reproduire entre eux (interbreeding). Dans cette définition le chien et le loup appartiendraient alors à la même espèce !  D’un point de vue écologique la notion d’espèce est indissociable de la notion de niches écologiques. C’est ce qui fait que dans cette approche le chien et le loup sont deux espèces distinctes car sans l’intervention de l’homme, dans la nature, chien et loup ne se reproduirait que très rarement.

La domestication est le processus de spéciation qui a fait apparaître le chien à partir d’un ancêtre canidés sauvages. De très nombreuses études sont publiées depuis une quinzaine d’années pour prouver l’origine géographique, la date, et l’ancêtre de Canis familiaris. Si une datation entre 16 000 et 32 000 ans semble faire consensus, en revanche les études s’opposent sur les origines géographiques et biologiques de la domestication. Pour Adam Miklosi, ces questions ont finalement peu d’importance.


Les deux questions majeures concernant la domestication sont : quel type de comportement ont été la cible de la sélection amenant à la domestication ? Et quelle a été la séquence des événements de cette sélection ? Une des hypothèses de sélection dans la durée pourrait être la séquence suivante :




Les gènes de l’homme et du chimpanzé ne diffèrent que de 1 à 2 %. Le chien et le loup ne se différencient que par 0,3 % de leur matériel génétique. Mais le matériel génétique, les gènes et leurs produits(les protéines) constituent un réseau complexe de mécanismes de régulation. Ainsi de petites mutations dans certains gènes peuvent avoir des effets importants. Des mutations sur les récepteurs à la dopamine (DRD4 ) peuvent en modifier le fonctionnement et modifier l’impulsivité et la concentration de certains individus. 


Sur ce graphique l’axe horizontal représente l’âge des individus testés, l’axe vertical représente les capacités sociales. En bas et à droit, vous pouvez voir … Adam Miklosi !




Les courbes vertes sont celles des loups, les courbes noires sont celles des chiens. Les courbes pleines représentent les animaux,  chiens et loups,  ayant eu un plan de développement de sociabilité intense. Les courbes en pointillé représentent des conditions de développement social standards ou nulles.

On constate que le point de départ des courbes des chiens et des loups n’est pas le même : c’est ce que Adam Miklosi appelle l’avantage sélectif : à la naissance les chiens ont des attitudes sociales plus importante que les loups. Pourtant on voit que dans un environnement de socialisation intense les courbes des capacités sociales du chien et du loup tendent à se rejoindre. A l’inverse on voit qu’un chiot qui n’est pas du tout stimulé socialement aura les mêmes capacités sociales qu’un loup qui se développent dans des conditions standards.
L’avantage sélectif, à support génétique, ne représentent donc qu’un potentiel qui ne pourra s’exprimer que dans un environnement favorable.


Si l’on compare les aptitudes du chien et du loup lors d’un test de pointé (trouver le réceptacle qui contient de la nourriture indiqué par un mouvement du bras de l’opérateur), le chiot de quatre mois est beaucoup plus performant que le loup du même âge. Mais les différences de performance entre les chiots et les louveteaux s’estompent avec l’âge si les loups sont élevés avec des humains. Il y a donc un changement dans les capacités cognitives : ils apprennent à performer et à collaborer dans cette tâche. Pour le chien cette collaboration est beaucoup plus facile et naturelle, les chiens sont génétiquement préparé à interagir avec l’homme. Les loups quant à eux doivent expérimenter ,apprendre, répéter.


Si l’on teste l’attention visuelle en comptant le nombre de regards spontanés vers l’humain, on constate que:
-à l’âge de trois semaines ni les chiots ni les louveteaux ne regardent l’humain
-à l’âge de quatre semaines le chiot commence à regarder vers l’humain alors que le louveteau ne le regarde pas. Mais il n’y a pas de différence statistiquement significative.
-à l’âge de cinq semaines le chiot regarde énormément l’humain spontanément, le louveteau le regarde un peu. La différence est alors statistiquement significative (p< 0.05)


Dans une autre expérience sur des chiots et des louveteaux de cinq à neuf semaines si l’on renforce les regards vers l’humain on constate que :
- pour le chiot de cinq semaines ou de neuf semaines le nombre de regards augmente entre la 1ere et la 4ème minute d’interaction (3 regards lors de la première minute, 9 regards lors de la quatrième minute)
- pour le louveteau de neuf semaines le nombre de regards restent constants : 2 à 3 regards lors de la 1ère comme lors de la 4ème minute d’interaction malgré les renforcements.


Pour Adam Miklosi : « pour comprendre le comportement des chiens nous avons besoin d’une bonne compréhension à la fois de la génétique et des effets possibles de l’environnement. La communauté scientifique doit travailler avec plus d’insistance à étudier le développement du chien si elle veut comprendre les mécanismes biologiques du comportement canin »


Dr Antoine BOUVRESSE
Vétérinaire comportementaliste DENVF